LA MÉDECINE CHINOISE À TAÏWAN ET EN FRANCE EN 2023 : TRADUCTION DU PODCAST DE DR XIAO YU (discussion enregistrée le 27 novembre 2023 et diffusée le 22 décembre 2023)
Hello tout le monde ! Je suis ravie et fière de vous présenter ici le podcast que nous avons enregistré avec le Dr Xiao Yu et Sean sa collaboratrice. Dr Xiao Yu est un médecin taïwanais pratiquant la médecine chinoise et spécialisé dans le neike 內科 la médecine générale. Dr Xiao Yu travaille principalement avec la pharmacopée chinoise, il n'effectue pas de soin d'acupuncture sur ses patients car il y a un autre médecin au sein de la clinique qui est spécialisé en acupuncture.
Ce podcast se présente comme une discussion autour des différences et similitudes entre la pratique de la médecine chinoise en France et à Taïwan, nous avons donné des anecdotes simples pour que le grand public puisse avoir une petite introduction à cette discipline. Cette émission me semble également intéressante pour les personnes qui étudient la médecine chinoise et n'ont pas encore eu l'occasion d'aller en Chine continentale ou à Taïwan pour observer la pratique là-bas (qui diffère à bien des égards de la prise en charge en France, comme vous pouvez l'imaginer).
Voilà comment l'émission s'articule :
La première partie est une présentation de ma personne (le podcast étant en chinois, il s'adresse principalement à un public sinophone qui ne me connaît pas), si vous me connaissez vous pouvez passer directement à la deuxième partie !
La deuxième partie entre plus dans le vif du sujet : comment se passe une consultation en France, quelles différences avec Taïwan ?
La troisième partie concerne les questions de deux auditrices anonymes avec les réponses du Dr Xiao Yu.
Ce podcast a été réalisé dans le cadre de mes recherches sur la pratique de la médecine chinoise à Taïwan et en France, qui déboucheront sur :
UNE EXPOSITION GRAND PUBLIC AU COURS DE L'ANNÉE 2024
STAY TUNED !
Vous pouvez écouter le podcast ici (EP148) : https://www.radio-en-ligne.fr/podcasts/xiao-yu-yi-jiang-tou-zhong-yi
Retrouver Dr Xiao Yu et Sean sur instagram ici : @zhenhuan_cmc
& me suivre sur instagram pour plus d'infos ici : @manonperrot.mtc
PARTIE 1 : PRÉSENTATION
Dr Xiao Yu : Bonjour à tous je suis Docteur Xiao Yu.
Sean : Bonjour je suis Sean.
Dr Xiao Yu : Aujourd’hui notre émission est un peu spéciale, en effet, il y a quelques mois j’ai reçu un e-mail d’une praticienne de médecine chinoise…française !
Sean : Oui, et je me souviens d’avoir remarqué son nom chinois et de m’être dit qu’il était vraiment cool !
Dr Xiao Yu : Je tiens à dire que si j’ai accepté de rencontrer Manon c’est parce-que son projet m’a interpelé, je l’ai trouvé très novateur. Manon monte un projet d’exposition qui présentera la pratique de la médecine chinoise à Taïwan et en France, afin de mettre à jour ses différences et similitudes. Lorsque nous en avons discuté ensemble j’ai trouvé ce projet très intéressant.
Sean : Surtout qu’à Taïwan il est déjà difficile parfois de comprendre les notions de médecine chinoise, bien que cette pratique fasse partie de notre culture. Alors imaginez en France !
Dr Xiao Yu : C’est ça, du coup nous avons décidé d’inviter Manon à participer à notre émission de podcast afin de discuter ensemble de la pratique de la médecine chinoise à Taïwan et en France. Nous avions pas mal de questions, par exemple : quel est le quotidien d’un praticien de médecine chinoise en cabinet ? Comment une française s’est-elle retrouvée à s’intéresser à cette médecine ? etc.
Sean : Il est donc temps d’accueillir Manon !
Manon : Bonjour à tous, merci de me recevoir !
Sean : Tu sais que lorsque j’ai vu ton nom chinois écrit à la main je me suis dit que ta calligraphie était vraiment belle (en réalité ma signature électronique en calligraphie chinoise a été réalisée par mon ami et artiste Denny, @dennyang3000)
Manon : Est-ce que tu as pensé que j’étais un garçon ?
Dr Xiao Yu et Sean : oui on a tous les deux pensé que tu étais un garçon ! (mon nom chinois est «馬龍 Ma Long » qui veut dire Cheval Dragon et c’est un prénom très masculin)
Dr Xiao Yu : Tu sais c’est drôle car auparavant je faisais partie d’une chorale et une des chanteuses s’appelait Manon et en chinois elle le traduisait par "Man Nong", du coup je me demande pourquoi tu as choisi ces caractères là pour ton nom en chinois ?
Manon : Quand j’ai commencé à apprendre le chinois, je ne connaissais pas beaucoup de caractères. Parmi les premiers caractères qu’on apprenait il y avait « le cheval » et « le dragon » (dont la prononciation se rapproche de mon prénom), du coup je les ai choisis et toujours gardés car je trouvais ça trop cool de s’appeler chevaldragon.
Dr Xiao Yu : ah oui ok du coup c’est vraiment par choix par rapport à ton prénom français, tu voulais trouver deux caractères qui sonnent un petit peu de la même façon.
Manon : oui voilà.
Sean : Je me demande une chose, en France, comment est perçu le fait qu’on soit praticienne de médecine chinoise ? Par exemple à Taïwan il y a énormément de cliniques de médecine chinoise, c’est quelque chose de très commun…En France j’imagine que c’est différent ?
Manon : Effectivement en France c’est plutôt original car la médecine chinoise ne fait pas partie de notre culture. De ce fait, beaucoup de français ont du mal à comprendre en quoi consiste la médecine chinoise. Parfois ils ne savent pas comment se déroule une séance ou pour quelles raisons consulter. Souvent la médecine chinoise est uniquement associée à la pratique de l’acupuncture, les personnes ne savent pas toujours qu’en réalité cette discipline comprend également les massages « tuina 推拿» et la prescription de pharmacopée.
Dr Xiao Yu : Comment en es-tu venue à étudier la médecine chinoise ?
Manon : Au départ, c’est ma maman qui m’a introduite à la médecine chinoise car elle adore cette pratique et consulte depuis plus de vingt ans. Il y a dix ans, j’étudiais la philosophie à l’université (Licence Humanités option Philo à Nanterre) et ma mère m’a dit un jour « tu sais tu devrais consulter cette praticienne de médecine chinoise, ça te ferait du bien ». A cette époque je ne sais plus pourquoi elle m’avait conseillée d’aller la voir (sûrement parce-que j’étais stressée) mais en tout cas je me souviens de lui avoir répondu « mais pourquoi j’irai voir une praticienne de médecine chinoise ? C’est quoi ce truc bizarre encore ? » (oui oui, j’étais stupide).
*Rires*
Dr Xiao Yu : ah oui ok, donc au début tu étais un peu réfractaire.
Manon : Oui, mais ensuite j’y suis quand même allée et j’ai rencontré cette femme qui m’a introduite à la médecine chinoise (Myriane B.), qui m’a expliqué pourquoi elle poncturait tel point et je pense qu’à la base ce qui m’a plu dans ce qu’elle me disait était l’aspect philosophique. A cette époque j’étudiais la philo et c’était une manière de voir le monde qui était tout à fait nouvelle pour moi. J’ai commencé à lire des livres qui parlaient de médecine chinoise, de Taoïsme et j’ai été de plus en plus captivée par cette manière de penser le monde.
Dr Xiao Yu : Et donc en France quand on étudie la philosophie on étudie également des penseurs comme Lao Zi ?
Manon : Non pas du tout. J’ai découvert ces penseurs grâce à cette praticienne de médecine chinoise qui m’a dit que si je voulais comprendre cette vision du corps et du monde il fallait que je lise Lao Zi 老子, Zhuang Zi 莊子 etc.
Dr Xiao Yu : oui effectivement car la philosophie occidentale est très différente de la philosophie chinoise.
Sean : Mais du coup lorsque tu lis des penseurs comme Lao Zi, Zhuang Zi et que tu compares leur philosophie à des philosophes français ou européens, quelle est la différence principale ?
Manon : Wo c’est une question vraiment difficile !
*Rires*
Manon : Je pense que la différence la plus frappante est qu’au cours de mes études de philosophie et lorsque je lis des œuvres de philosophes occidentaux, l’auteur nous donne sa vision des choses, sa vérité, son explication de phénomènes du monde. Les phrases sont souvent longues, difficiles et très explicatives. Tandis que dans la ou plutôt les philosophies chinoises, les phrases sont courtes mais les significations sont multiples. Donc lorsque je lis une œuvre de philosophie chinoise, peut-être qu’en la lisant une première fois je vais avoir accès à une interprétation, puis je la relis une autre fois, des mois ou des années après et j’y découvre un nouveau sens. Pour moi, c’est la différence principale.
Dr Xiao Yu : oui je suis d’accord avec toi, et tu sais lorsqu’on étudie la médecine chinoise à Taïwan nous devons étudier des classiques tels que le Shang Han Lun 傷寒論 ou le Huangdi Nei Jing 黃帝內經, et ces ouvrages sont écrits en chinois classique (langue écrite de l’époque) qui est une langue très obscure même pour nous qui sommes sinophones ! Parfois, les mots peuvent avoir plusieurs sens et on se demande : « bon finalement qu’est-ce qu’il a voulu dire ici ? »
*Rires*
Dr Xiao Yu : du coup lorsque tu lis un caractère chinois, parfois ce même caractère peut avoir différents sens…En plus de cela si tu dois le traduire, c’est presque impossible ! Figure-toi que j’ai également étudié la philosophie et j’ai remarqué que des auteurs allemands par exemple, sont presque intraduisibles en chinois car l’allemand est une langue si précise qu’il n’existe parfois pas d’équivalent en chinois.
Si on revient au chinois, c’est également très complexe car des caractères comme Yin 陰, Yang 陽 ou Qi 氣 peuvent décrire tout un tas de choses et être employés dans tout un tas de contextes différents.
Et d’ailleurs, comment tu expliques ces caractères aux personnes qui te posent la question en cabinet ?
Manon : La plupart du temps je ne les traduis pas, j’emploie le mot chinois. Par exemple, on m’a déjà demandé « mais qu’est-ce que c’est le Qi ? Est-ce que ça s’observe au microscope ? » et dans ces cas-là je réponds que non, évidemment le Qi ne se voit pas mais est présent partout, un peu comme l’air. C’est une sorte de force motrice qui permet de donner l’impulsion au vivant, de créer du mouvement et des transformations, de faire circuler le sang etc. Et comme en français nous n’avons pas d’équivalent du terme « Qi » , je préfère garder le terme chinois.
Dr Xiao Yu : oui et je pense que le fait que tu aies étudié la philosophie auparavant doit aider à comprendre le fait qu’un mot puisse avoir plusieurs sens en chinois.
Manon : oui complètement, la philo a été un vecteur essentiel pour m’ouvrir aux pensées chinoises.
Dr Xiao Yu : Et si on prend l’exemple du terme « Yue » 月 en chinois il est employé dans tellement de mots différents qui ont tous un sens différent également : Yuefen 月份 – les mois, Yuejing 月經– les menstruations, Yueliang 月亮 la lune etc. pour les étrangers ça doit être assez complexe à comprendre.
Et du coup pourquoi tu as appris le chinois ?
Manon : D’abord j’ai voulu apprendre le chinois parce-que je considère que si on veut vraiment comprendre la médecine chinoise et les pensées chinoises, il est indispensable d’étudier la langue dans laquelle elles sont nées. D’une part parce que parfois il n’existe pas de bonne traduction de certains ouvrages importants, d’autres part parce-que le fait de lire un livre traduit, implique toujours un filtre (du traducteur(ice), de la langue, du ton de l’ouvrage).
Dr Xiao Yu : oui donc ce que tu veux dire c’est que l’auteur ou l’autrice mettra toujours un point de vue dans sa traduction.
Manon : oui voilà. Et aussi, au moment où j’ai voulu me lancer dans des études de médecine chinoise j’avais dix-neuf ans et comme la formation de médecine chinoise se déroule sous forme de séminaires le week-end pendant cinq ans, j’avais le temps soit de travailler le reste de la semaine, soit d’étudier autre-chose. J’ai la chance que mes parents aient pu me soutenir financièrement pour continuer à étudier sans avoir besoin de travailler à côté. Voilà pourquoi j’ai pu m’inscrire à l’université et suivre un master de chinois en parallèle de mes études de médecine chinoise.
Dr Xiao Yu : Où as-tu appris le chinois ?
Manon : A l’université Paris Diderot, anciennement Paris VII. Et j’ai fait ma troisième année de licence à Taipei (Taïwan), à la N.T.N.U (National Taïwan Normal University).
Dr Xiao Yu : Je comprends mieux pourquoi tu as la prononciation taïwanaise ! Parce que la plupart des occidentaux qui parlent chinois ont l’accent de Pékin.
Sean : oui c’est vrai que quand on t’entend, ta prononciation est plus taïwanaise !
(*Moi : super flattée*)
Manon : Je me souviens que quand j’apprenais le chinois à l’université à Paris on disait « wo xue hanyu 我學漢語 : j’apprends le chinois » (hanyu sous-entendu la langue des « han ») quand je suis arrivée à Taïwan, les profs disaient « wo xue zhongwen 我學中文 » (zhongwen sous-entendu la langue chinoise) et je me disais « mais pourquoi on dit zhongwen ici ? ».
*Rires*
DEUXIEME PARTIE
Sean : Quand tu es au cabinet et que tu reçois des personnes, est-ce que ça se passe de la même façon qu’ici ? Par exemple pendant le bilan tu utilises les quatre temps de l’examen ? (Wang 望 : observation / wen 聞: audio-olfaction / wen 問: interrogatoire / Qie 切: palpation et prise du pouls)
Manon : Oui je fais les quatre temps de l’examen aussi, comme à Taïwan ! Ce qui diffère est le temps total que je passe avec mes patients.
Dr Xiao Yu : tu passes combien de temps avec ton patient ?
Manon : Si c’est la première séance, ça dure 1h30.
Dr Xiao Yu : Wow ! C’est fou parce que dans notre clinique, lors de la première séance on passe environ 30 minutes avec le patient et c’est déjà plus long que dans les autres cliniques !
Manon : La raison principale pour laquelle je passe autant de temps, c’est parce que j’aime bien expliquer ce que je fais. J’ai remarqué que beaucoup de mes patients ne savent pas vraiment ce qu’est la médecine chinoise. Du coup je leur présente des principes simples pour qu’ils sachent où ils mettent les pieds.
Un exemple très simple est lors de l’observation de la langue. Avant de leur demander de me montrer leur langue, je leur explique toujours pourquoi en médecine chinoise on observe certaines parties du corps, les informations qu’elles peuvent donner et pourquoi c’est important de récolter ces informations.
Aussi, souvent mes patients sont un peu timides lorsqu’ils me montrent leur langue. Ce n’est pas un organe qu’on montre souvent et il y a très fréquemment une forme de pudeur. J’ai l’impression que si je leur explique pourquoi il faut regarder la langue, ils se sentent plus à l’aise pour la montrer.
Dr Xiao Yu : Du coup c’est aussi une forme de consentement ? car si tu n’expliques pas pourquoi tu dois regarder la langue et pourquoi cela fait partie du diagnostic, en France les personnes peuvent considérer que c’est une chose étrange ?
Manon : oui bien-sûr. Et parfois elles peuvent aussi refuser.
Sean : ah oui c’est vraiment différent de Taïwan !
Dr Xiao Yu : C’est clair ! A Taïwan on dit simplement « langue », et les gens tirent la langue directement.
*Rires*
Manon : Oui et parfois en France quand ils tirent la langue ils montrent juste un tout petit peu, la pointe par exemple et je suis obligée de leur dire de vraiment tirer la langue pour qu’ils osent la montrer entièrement.
*Rires*
Dr Xiao Yu : En plus c’est hyper important de regarder les trois parties de la langue : la pointe, le centre et le fond, car chaque partie peut avoir un aspect très différent.
Sean : Et lorsqu’ils comprennent pourquoi tu regardes la langue, est-ce que cela arrive qu’ils rentrent chez eux et la regardent plus souvent ? A la séance suivante est-ce qu’ils te disent « ah j’ai regardé ma langue et j’ai remarqué tel ou tel changement » !
Manon : oui carrément ! En plus au moment de l’observation de la langue au cabinet je leur montre une petite affiche avec plein de langues différentes pour qu’ils comparent la leur et qu’ils sachent vers quel type de langue ils tendent.
Dr Xiao Yu : Ah oui du coup tu as des images de langues de différentes couleurs, formes, avec différents enduis etc. ?
Manon : oui c’est ça ! Et parfois ils prennent en photo l’affiche pour pouvoir regarder chez eux et comparer au fil du temps.
Sean : c’est trop mignon !
Dr Xiao Yu : C’est marrant parce qu’ici c’est plutôt l’inverse. Beaucoup de patients connaissent déjà l’aspect de leur langue et nous disent eux-mêmes les changements qu’ils ont observé avant même qu’on ne la regarde au cabinet.
Sean : Et pendant l’interrogatoire est-ce qu’il y a des questions de l’ordre de l’intime qui peuvent bloquer ? Par exemple sur la digestion, le transit, les menstruations ?
Manon : En général c’est plutôt bien accepté. J’ai remarqué au contraire que les femmes apprécient qu’on s’intéresse à leur cycle menstruel, que ça leur montre que j’essaie de comprendre le fonctionnement de leur corps. Actuellement en France les femmes sont de plus en plus conscientes de l’importance de leur cycle. Beaucoup aiment comprendre et se reconnecter à cet aspect de leur corps.
En général les personnes ne sont pas gênées lorsque je leur pose des questions à ces sujets (digestion, menstruations, transit etc.)
En revanche, ce qui peut bloquer est le moment de l’acupuncture, car certaines personnes prennent rendez-vous mais ont peur des aiguilles (surtout si c’est la première séance).
Dr Xiao Yu : c’est intéressant car ce point est aussi très différent à Taïwan. Bien sûr nous avons aussi des patients qui craignent les aiguilles. Cependant, la plupart du temps les gens préfèrent lorsque l’acupuncture ou le massage Tuina sont douloureux, car ça leur donne l’impression qu’il y a un vrai travail qui opère et que c’est encore plus efficace.
Manon : C’est drôle parce-que plusieurs fois j’ai reçu des personnes qui me disaient : « j’ai déjà fait de l’acupuncture il y a longtemps mais ça m’a fait trop mal, je pense que je suis tombé sur un mauvais praticien ».
*Rires*
Sean : Tu penses que les français croient en la médecine chinoise ?
Manon : Je pense que de plus en plus de gens s’intéressent à la médecine chinoise car les gens aiment comprendre leur corps. Ensuite, s’ils n’y croient pas, parfois ils viennent pour essayer et s’il y a des résultats ils reviennent et commencent à y « croire » de plus en plus. Une grande partie des gens que je reçois sont des personnes pour lesquelles la médecine occidentale n’a pas eu de résultat. Je suis souvent une solution de dernier recours.
*Rires*
Dr Xiao Yu : Tu veux dire que tu reçois beaucoup de gens qui ont essayé tout un tas de traitements ou qui ont vu plein de professionnels de santé et pourtant le problème est toujours là ? Du coup, ils viennent essayer ta pratique pour cette raison ?
Manon : oui c’est ça.
Sean : En France est-ce que vous utilisez aussi des techniques comme San Fu Tie 三伏貼 ou le moxa ?
Manon : Personnellement je n’utilise pas San Fu Tie, par contre j’utilise énormément le moxa !
Dr Xiao Yu : et le moxa en général tu l’utilise comment ? Pour quel type de patients ?
Manon : Souvent au niveau du ventre pour certaines problématiques digestives, au niveau de certains points d’acupuncture comme Zu San Li 足三里 (36E) pour tonifier le Qi. Et les français adorent le moxa ! D’une part parce-que le moxa a un effet relaxant de par la chaleur qui se dégage et aussi parce-qu’ils aiment l’odeur !
Dr Xiao Yu : c’est vrai ? Je déteste l’odeur du moxa !
*Rires*
Manon : On m’a demandé plusieurs fois où acheter du moxa pour l’utiliser comme un bâton d’encens !
*Rires*
Sean : c’est trop cool !
Dr Xiao Yu : tu sais à Taïwan il y a beaucoup de médecins qui détestent l’odeur du moxa car ça leur rappelle les cliniques où ils étudiaient qui étaient emplies de cette odeur forte.
Plus largement, j’ai remarqué que les goûts des européens et des asiatiques étaient parfois très différents, je me souviens être allé en Europe et avoir mangé des Dragibus (bonbons haribo). Dans le paquet c’était la première fois que je goûtais le Dragibus noir car il n’y a pas ce goût là à Taïwan. Lorsque je l’ai mangé ça m’a rappelé le goût de Gancao 甘草 (la réglisse utilisée en pharmacopée chinoise) et de bajiao 八角 (badiane, anis étoilé), un goût hyper fort ! J’ai vraiment pas aimé. En plus, pour nous ce genre de goût se marie plutôt avec des saveurs salées, donc c’était très bizarre de retrouver cela dans des bonbons.
*Rires*
Sean : En parlant de goût, que pensent les français de la pharmacopée chinoise, qui a souvent un goût assez fort ?
Manon : Oui c’est en effet un petit problème. Il y a beaucoup de personnes qui n’aiment pas prendre la pharmacopée chinoise, surtout lorsqu’elle est sous forme de poudre. Il m’est arrivé que des personnes reviennent et me disent « j’ai essayé de prendre ce que vous m’avez dit, mais c’était trop dégoutant, je n’ai pas réussi à finir ».
*Rires*
Manon : c’est aussi une question d’habitude, car en France souvent les médicaments ou les compléments alimentaires sont sous forme de pilules ou de gélules, on ne sent pas du tout le goût de ce qu’on ingère. Lorsque c’est en poudre, c’est plus compliqué.
Dr Xiao Yu : Il y a un proverbe en chinois qui dit « liang yao ku kou 良藥苦口 » ce qui veut dire « un bon remède est amer en bouche ». Donc ici souvent les gens se disent que plus la pharmacopée a un goût fort, plus elle est efficace (ce qui n’est pas forcément vrai) !
C’est comme No pain no gain !
Manon : En France c’est plutôt « plus c’est fort en goût, moins je vais le prendre »
*Rires*
Manon : Je me demande si à Taïwan les patients posent des questions pendant le rendez-vous ? Est-ce qu’ils demandent des explications sur la méthode de traitement ?
Dr Xiao Yu : A Taïwan je pense que la plupart des gens n’ont pas besoin d’autant d’informations car il y a déjà beaucoup d’habitudes de vie qui sont tirées de la médecine chinoise. Ça fait partie de notre culture. Par exemple, parfois je dis juste « Vous avez un vide de Qi donc on va tonifier le Qi », et ça s’arrête là, car ils comprennent ce que j’entends par « vide de Qi ». Mais moi personnellement, je choisis d’expliquer ce que je fais. Je cherche à ce que mon patient comprenne sa situation. Car je pense qu’il est très important que la relation entre le patient et son médecin soit une forme de collaboration.
Surtout en ce qui concerne la pharmacopée, il est important de prévenir le patient sur l’évolution possible de sa situation au cours de la prise : parfois cela va nécessiter du temps avant que la situation n’évolue, parfois il peut y avoir des effets indésirables tels que des diarrhées. Et d’ailleurs les français acceptent de prendre des pharmacopées qui peuvent accélérer le transit ?
Manon : Oui honnêtement si je les préviens il n’y a aucun souci.
Dr Xiao Yu : Et du coup lorsque la pharmacopée modifie le transit c’est important de demander combien de fois la personne est allée à la selle. Si on me répond 5 à 6 fois dans la journée c’est vraiment trop ! Mais parfois les patients me répondent « non pas du tout ça m’a fait du bien je me sens tout détoxifié ! »
*Rires*
Sean : Oui c’est vrai que beaucoup de gens se disent que plus ils vont à la selle plus le corps se nettoie.
Manon : En France il y a aussi un peu la mode du detox. Du coup certaines personnes peuvent aussi penser comme ça, mais évidemment que ce n’est pas forcément une bonne chose !
Dr Xiao Yu : Oui c’est clair. En tout cas j’étais très heureux de recevoir Manon aujourd’hui, de connaître son parcours et de discuter de la pratique de la médecine chinoise en France et à Taïwan. C’est d’ailleurs le sujet sur lequel reposent ses recherches actuelles, dans le but de monter une exposition en France et à Taïwan.
J’ai très hâte de voir le résultat de ces recherches !
Manon : De plus, cette exposition sera totalement bilingue (français – chinois) afin de pouvoir la proposer à un public français et à un public sinophone.
Dr Xiao Yu & Sean : Super ! On a hâte d’en savoir plus.
TROISIEME PARTIE
Sean : On va désormais répondre aux questions du jour.
Première question : (Anonyme) "En hiver, on conseille souvent de manger des aliments qui réchauffent le corps (de nature chaude), comme le gingembre ou autre…mais j’ai remarqué que lorsque je mange ce type d’ingrédient je ne me sens pas bien. Pourquoi ?"
Dr Xiao Yu : C’est vrai qu’à Taïwan il y a ce type d’habitudes qui est de manger certains aliments à certaines saisons pour aider le corps à s’adapter aux changements de climat par exemple. En hiver plein de gens vont manger des plats comme le 羊肉爐 Yang Rou Lu (Plat à l'agneau) ou 養生排骨 Yang Sheng Pai Gu (bouillon d’os). Il y a même des petites échoppes qui ouvrent uniquement en hiver et proposent ces plats, ils ferment en été car ce n’est plus la saison.
Mais il faut un petit peu repenser ces habitudes, dans le sens où ce type de plat ne peut pas convenir à tout le monde. Par exemple, cette personne dit que lorsqu’elle mange des ingrédients de nature chaude, ne se sent pas bien. Il faut donc regarder le terrain de cette personne (c’est-à-dire la manière spécifique dont son corps fonctionne). Notre corps peut être comparé à une sorte d’usine. S’il y a un problème sur une machine il faut régler ce problème pour ne pas que cela empiète sur le reste du circuit. Chaque personne est une usine différente, avec des disfonctionnements différents. Tout le monde ne peut pas fonctionner exactement de la même façon. Du coup, en hiver nous n’avons pas tous besoin des mêmes choses. Si tu manges des ingrédients de nature chaude cela va activer le feu interne (« Sheng Huo »), mais si ton feu interne est déjà naturellement très fort, ce n’est pas nécessaire de l’activer encore plus. Au contraire, il faut éventuellement le canaliser. Par exemple, après avoir mangé des ingrédients de nature chaude (alimentation piquante, gingembre, cannelle etc.) certaines personnes peuvent avoir mal au ventre, la diarrhée ou des constipations etc. dans ce cas, cette alimentation n’est pas adaptée. Il faut toujours se dire que ce qui convient à ton voisin n’est pas forcément ce qui te convient à toi.
Sean : Nous avons une deuxième question aujourd’hui, (Anonyme) cette personne a tendance à boire beaucoup d’eau et pourtant sa bouche est toujours sèche et elle a toujours soif. Elle se demande quelle quantité d’eau elle doit boire dans une journée ?
Dr Xiao Yu : Il faut déjà considérer la corpulence et le mode de vie de la personne pour comprendre ses besoins. Si elle est plutôt grande, petite, mince, grosse ; si elle a une activité physique ou si elle est plutôt sédentaire etc. En général, les études récentes préconisent pour 1kg – 30 ml d’eau. Donc si je pèse 60 kg je suis sensé boire 1800 ml (ce qui fait 1,8 L d’eau par jour).
Mais selon la médecine chinoise on considère les choses un peu différemment. La soif et la bouche sèches peuvent être le résultat de deux situations : un vide de Yin (un manque de liquides) ou un excès de feu. Souvent c’est parce que le corps n’arrive pas à assimiler les liquides qu’on ingère, un peu comme une passoire. Donc en général chez ces personnes on ne va pas uniquement calmer le feu interne, on va aussi aider les liquides à pénétrer et à rester dans le corps.
En médecine chinoise il y a le mot « Shui Ni » qui veut dire que l’eau que l’on ingère va à contre sens, qu’elle remonte ou stagne. Certaines personnes, quand elles boivent de l’eau sont écœurées, ont la nausée. Ou bien d’autres n’aiment pas l’eau et ont besoin d’ajouter un goût pour boire. Si en plus la bouche est sèche, cette situation est souvent un Shui Ni. Dans ce cas-là il faut travailler sur cette circulation, pour que le mouvement d’assimilation des liquides se remette en place.
Sean : Merci pour ces réponses Dr Xiao Yu !
Aujourd’hui notre émission s’arrête là, nous remercions les personnes qui l’ont suivie et qui ont posé des questions. Nous remercions également Manon qui a participé à l’épisode d’aujourd’hui.
Dr Xiao Yu : Merci à tous.
Manon : Merci à vous !
Traduction réalisée par : Manon Perrot
Vous pouvez écouter le podcast ici (EP148) : https://www.radio-en-ligne.fr/podcasts/xiao-yu-yi-jiang-tou-zhong-yi
Retrouver Dr Xiao Yu et Sean sur instagram ici : @zhenhuan_cmc
& me suivre sur instagram pour plus d'infos ici : @manonperrot.mtc
Merci d'avoir eu la curiosité de lire cette interview !
A bientôt,
Manon.
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